William Mandy[1] et Robyn Steward[2] pour Spectrumnews, 20 sept 2016
[1] Maître de conférence au University College de Londres
[2] Chercheuse invitée au University College de Londres
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Note de l’éditeur
Nous sommes conscients que les points de vue divergent quant à savoir s’il vaut mieux parler de « personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme » ou de « personnes autistes ». Afin de mieux souligner la diversité des formes d’autisme, dans cet article, nous parlerons de « personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme » (ndlt : TSA).
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[1] Maître de conférence au University College de Londres
[2] Chercheuse invitée au University College de Londres
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Gwen est une jeune femme créative et intelligente qui connaît la
réussite en tant qu’artiste. Pourtant, quand elle était enfant, elle avait
juste envie de s’isoler et de passer inaperçue. D’aussi loin qu’elle se
souvienne, elle se sentait déjà différente des autres enfants, et elle
fournissait beaucoup d’efforts en vue de camoufler certains aspects de sa
personnalité en faisant semblant d’être « normale ». Elle n’a pas
vécu une enfance heureuse, et l’adolescence a été une période encore plus
difficile à traverser. Les relations avec ses pairs devenant de plus en plus
complexes, elle a lutté pour s’adapter. (Gwen est une participante de notre
étude ; nous avons changé son nom pour protéger sa vie privée.)
Gwen a
reçu un traitement pour l’anxiété et la dépression quand elle avait la
vingtaine. Et à mesure qu’on l’aidait à reconsidérer ses expériences et ses
sentiments, elle s’est rendue compte qu’elle présentait peut-être bien un
trouble du spectre de l’autisme. Un psychologue a validé son auto-diagnostic et
lui a remis un diagnostic officiel, et c’est à partir de ce moment-là que tout ce qu’elle
avait vécu a pris son sens.
Elle a enfin compris pourquoi elle avait autant de mal à
s’entendre avec ses pairs à l’école et au travail, et quand elle se sentait en
surcharge sensorielle dans les magasins bondés et bruyants, elle savait
désormais que cela fait partie de la sensibilité sensorielle caractéristique
des TSA. Aujourd’hui, le fait de savoir qu’elle fait partie de la communauté
autistique lui donne de la force, et elle est de plus en plus fière d’être ce
qu’elle est : une jeune femme qui présente un trouble du spectre de
l’autisme.
D’autres filles et femmes présentant un TSA se reconnaîtront dans
l’histoire de Gwen : l’anxiété et le sentiment d’aliénation, le stress dû
aux tentatives de s’intégrer et les relations sociales difficiles. À l’instar
de Gwen, beaucoup de femmes présentant un TSA reçoivent un diagnostic tardif,
tandis que d’autres reçoivent un mauvais diagnostic, ou pas de diagnostic du
tout.
Nous avons voulu mieux comprendre les expériences des femmes
présentant un TSA en vue de mieux les identifier pour les aider au plus tôt.
Dans cette étude publiée au mois de juillet, nous avons défini les signes
distinctifs des femmes présentant un TSA, qui incluent un risque élevé d’être
victime d’agressions sexuelles, l‘épuisement dû aux efforts fournis pour se
fondre dans la masse, et le fait d’être perpétuellement incomprise[i].
Ces signes distinctifs nous ont permis de définir des mesures précises à
prendre en vue de rendre la vie de ces femmes meilleure.
Langage
littéral
La plupart des cliniciens (ndlt : la plupart des
cliniciens anglo-saxons) et des membres de la communauté autistique
s’accordent pour dire que les femmes présentant un TSA n’ont pas les mêmes
caractéristiques que les hommes présentant un TSA. Mais aucune différence de
genre significative n’apparaît quand on se base sur des résultats d’essais
cliniques et des indicateurs. Ces différences de genre sont-elles vraiment
insignifiantes, ou passons-nous à côté de ces différences en oubliant de poser
les bonnes questions aux personnes concernées ?
Pour résoudre ce problème, nous avons adopté une approche peu
conventionnelle qui consiste à porter une grande attention aux expériences des
femmes présentant un TSA. Nous avons posé des questions sur leurs vies à 14
femmes présentant un TSA, dans l’espoir que leurs mots nous permettent de
comprendre les manifestations subtiles de l’autisme chez les femmes que l’on ne
voit pas dans les résultats des tests classiques. Le fait de comprendre ces
caractéristiques devrait nous permettre de mieux aider les femmes présentant un
TSA, dans l’espoir qu’elles n’aient plus le sentiment de devoir faire profil
bas.
Notre étude porte sur les femmes ayant reçu un diagnostic de TSA à
l’âge adulte. Nous avons déterminé qu’en comparaison aux filles diagnostiquées
durant l’enfance, les expériences de ces femmes seraient susceptibles de nous
aider à comprendre à quel point et pourquoi on ne se rend pas toujours compte
que certaines femmes présentent un TSA. Nous espérions aussi que cela nous
aiderait à évaluer les dommages provoqués par un diagnostic erroné.
Robyn Steward présente elle-même un TSA, et sa perspicacité nous a
permis de créer les conditions favorables à l’expression des femmes participant
à l’étude. Nous avons par exemple demandé à la personne qui menait les
interviews de poser des questions littérales, tout particulièrement quand les
questions portaient sur des sujets sensibles comme la consommation de drogues
et le sexe, et que les participantes étaient tentées d’avoir recours à un
langage abstrait et indirect.
Plans et
aides visuelles
Nous avons fait en sorte qu’aucun stimulus sensoriel —bruits
intenses ou lumières vives— susceptible
de rendre les participantes agitées ne parasite la salle d’interview. Nous
avons préparé les participantes en leur envoyant au préalable des plans et des
photos de la salle d’interview.
Quand l’idée d’une conversation en face-à-face les mettait malgré
tout mal à l’aise, nous leur proposions de faire une visioconférence à la
place. Et pendant l’interview, nous leur proposions d’utiliser un chronomètre
en guise d’aide visuelle, pour qu’elles sachent à quel moment elles devraient
passer à la question suivante.
Les autres membres de l’équipe n’auraient pas pensé à adapter la
salle d’interview, et nous sommes convaincus que cela a aidé les participantes
à s’ouvrir et à parler ouvertement de certains aspects de leur vie. Nous
disposons probablement d’une base de données plus riche que si nous nous étions
retrouvés face à des femmes nerveuses et réticentes.
Nous avons encouragé les participantes à parler de sujets que nous
n’avions pas prévu d’aborder, et nous avons eu recours à la technique de
l’analyse du cadre, qui permet de classer automatiquement les données verbales
pour recouper des thèmes communs dans les conversations.
Comme Gwen, la plupart des participantes ont eu des difficultés
sur le plan émotionnel durant l’enfance et l’adolescence. Leurs médecins,
professeurs et parents ont souvent pensé à tort que c’était juste de l’anxiété,
de l’impolitesse, de la maladresse ou une dépression.
Beaucoup de participantes ont eu le sentiment que les médecins
avaient ignoré ou pas tenu compte de leurs préoccupations. Beaucoup de
professionnels avaient des idées reçues —voire surréalistes— sur l’autisme, ce
qui ne les aidait pas. Par exemple, certains professionnels étaient apparemment
convaincus que l’autisme touche très peu de femmes.
L’éducateur spécialisé d’une des participantes lui a dit qu’elle
était « trop nulle en maths » pour être autiste. D’autres étaient
convaincues qu’elles étaient incomprises car leurs professeurs et médecins
n’avaient jamais entendu parler des caractéristiques des femmes présentant un
TSA. La plupart d’entre elles ont affirmé que leur vie aurait été plus simple
si elles avaient reçu un diagnostic de TSA plus tôt.
Incertitude
sociale
Les résultats de notre recherche laissent penser que les
professeurs et les cliniciens devraient savoir comment l’autisme se manifeste
chez les femmes. Ils devraient savoir qu’une fille qui a une amie proche ou qui
cherche à se faire des amis peut malgré tout présenter un TSA. Et ils devraient
savoir qu’une forte anxiété couplée à des difficultés sur le plan social sont
un signe potentiel d’autisme. Ces professionnels réduisent trop souvent les
nombreuses difficultés de ces filles à de la « timidité ». Nous avons
découvert un nombre élevé de témoignages d’agressions sexuelles, ce qui a
choqué les deux membres neurotypiques de l’équipe, mais pas Robyn Steward. En
tant que consultante en autisme, elle intervient dans des écoles, auprès des
services sociaux et de compagnies de théâtre, et elle a déjà entendu un certain
nombre d’histoires de filles et de femmes
présentant un TSA abusées par des hommes.
Le motif des agressions sexuelles varie, mais toutes semblent être
en lien avec les difficultés sociales typiques de l’autisme couplées à leur
condition de femme.
Par exemple, l’une des participantes pense qu’elle a été agressée
sexuellement car elle est « incapable de deviner qu’une personne est
malsaine. » Une autre a dit qu’elle n’était pas sûre de pouvoir dire
« non » aux demandes abusives de son partenaire à cause de son
incertitude quant aux règles sociales. D’autres avaient le sentiment que durant
leur adolescence, elles ne savaient pas qu’il existait des moyens de se
protéger car elles n’avaient pas d’amies avec qui en parler.
Notre étude seule ne permet pas d’établir des statistiques sur la
prévalence des agressions sexuelles chez les femmes présentant un TSA, mais les
résultats de nos recherches mettent en avant un besoin de recherche dans le
domaine de l’autisme au féminin. Et ils semblent clairement indiquer qu’il
faudrait que les femmes présentant un TSA reçoivent une éducation sexuelle
appropriée en mettant l’accent sur la notion de consentement et sur les
différentes manières de rester en sécurité.
Identité
secrète
Comme Gwen, la plupart des participantes faisaient semblant de ne
pas être autistes avec succès —un phénomène que l’on appelle parfois « camouflage ».
Elles disent que c’est comme porter un « masque » ou adopter une
personnalité construite avec soin en copiant le comportement de camarades
populaires ou de personnages fictifs, ou en étudiant des ouvrages de psychologie.
La plupart des femmes ont expliqué que les efforts fournis pour
faire semblant d’être « normale » les épuisaient et les laissaient
désorientées, et beaucoup pensent que c’est à cause de cela qu’elles n’ont pas
été diagnostiquées plus tôt. À ce jour, aucun test ne permet de détecter les
signes de « camouflage », et c’est un obstacle majeur pour les
cliniciens et les chercheurs qui veulent comprendre et aider les femmes
présentant un TSA.
Ce qu’il faudrait, c’est concevoir une méthode qui permette
d’évaluer le degré de « camouflage », pour savoir si c’est un trait
plus commun chez les femmes que chez les hommes présentant un TSA —nous pensons
que oui—, et si cela a des conséquences négatives telles que le risque élevé de
diagnostic tardif. Cette méthode aiderait les cliniciens à établir des
diagnostics d’autisme plus précis chez les filles et chez les femmes.
Les résultats de nos recherches soulèvent également des questions
d’ordre moral. Jusqu’à récemment, beaucoup de membres de la communauté LGBT se
sentaient forcés de cacher leur orientation sexuelle. Heureusement, même si
l’homophobie est toujours répandue, elle l’est moins qu’avant. Nous pensons
qu’il en va de même pour les femmes présentant un TSA, et qui se sentent
obligées de faire semblant d’être « normales ».
Les chercheurs et les cliniciens ont tendance à mesurer les
progrès en se basant sur le nombre de traitements ayant fait leurs preuves et
disponibles sur le marché. En ce qui concerne l’autisme, nous proposons
d’adopter une grille de lecture différente, qui consiste à évaluer la mesure
dans laquelle les sociétés permettent aux autistes de vivre sans avoir à faire
semblant d’être ce qu’ils ne sont pas.
William Mandy est maître de conférence en psychologie clinique au
University College de Londres. Robyn Steward est une chercheuse invitée dans la
même université.
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© Traduction Elodie Chatelais, pour l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA)
Cet article ne peut pas être
reproduit ou copié sans autorisation expresse de Spectrum.
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